L’addiction des femmes aux chaussures : Pourquoi?
Souvenez-vous de Sex and the city, plus exactement de l’épisode numéro 12, de la 2eme saison de la série de la chaine HBO.
Kristin Davis qui joue le rôle de Charlotte York, rencontre lors d’une séance de shopping dans une boutique de chaussures, un charmant vendeur qui lui propose une interminable séance de chaussé-déchaussé. Cela consiste simplement à essayer plusieurs modèles dont la récompense sera la fameuse paire offerte. Cette paire de talons aiguilles, l’héroïne a en tant rêvé et elle n’a jamais pu se la payer.
Tabou contre morale, Charlotte succombe à sa tentation. Voila notre duo impromptu qui se rencontre à Manhattan et qui trouve chaussure à son pied. D’un coté, nous avons une femme dont l’addiction compulsive la pousse à enrichir et à faire grandir sa collection d’escarpins, de talons aiguilles, de ballerines, de bottines. Face à elle, nous retrouvons un fétichiste du pied, du stiletto. Dans ce plan séquence télévisuel, le montage en cut, en champs contre champs, avec des plans en close-up sur les expressions des visages, avec un rythme saccadé, fait comprendre au téléspectateur une ascension dans le désir et le plaisir. Elle est assise, il est agenouillé. Il caresse les modèles, il s’extasie devant des talons vertigineux. Zoom sur le visage de la petite Charlotte ne contrôlant plus cette situation.
“Donner à une femme de belles chaussures et elle pourra conquérir le monde. Je suis égoïste, impatiente et peu sûre de moi.” – Marylin Monroe
Les cambrures architecturales, à lui, elles le rendent fou. Il s’enivre de l’odeur des cuirs, perd le contrôle par le touché du serpent. La douceur de peaux métallisées, les vinyles glacés le font suffoquer. Trop tard, il a joui. En enfilant des souliers sur le pied pointure 36 de Charlotte, le plaisir a atteint son paroxysme.
CENDRILLON MODERNE
La voix off nous murmure Charlotte se sentait comme une Cendrillon moderne mais à l’inverse du conte de fée, elle prendra la fuite avec les souliers gagnés, sous le bras, sans en perdre un seul sur les escaliers du magasin. Il ne faudrait pas que le vendeur qu’elle considère comme un pervers ne la retrouve. Loin des fantasmes ou des comportements sexuels impliquant l’utilisation d’un objet inanimé pour produire une excitation sexuelle, cette scène nous renvoie au conte de fée de Cendrillon. Saviez vous que l’histoire est consignée par écrit au IX eme siècle avant J-C, en Chine ? Eh oui, bien avant que ce cher Walt Disney ne la mette en image en s’inspirant de Perrault, qui s’était lui-même inspiré d’un conte des frères Grimm Aschenputtel – Vivre parmi les cendres -, le récit avait déjà un lointain passé.
LA TAILLE ET LA VERTU
La première version du conte de fée de Cendrillon a bien été écrite en Chine. Comme Charlotte, l’héroïne a un petit pied sans égal, signe de vertu. Le petit pied exprime la distinction du commun des mortels et une beauté extraordinaire. Le vair, matière rare s’attribue à une caste, à une élite, aux pantoufles des courtisanes.
Cette mutilation qui entre dans la tradition trouve son origine dans le fait de restreindre la liberté des femmes. Une démarche lente rend encore plus difficile l’envie de s’échapper du harem impérial. L’éducation chinoise favorisant la soumission au conformisme sociale, cette vogue de la miniaturisation gagne progressivement toutes les classes sociales. Avoir une fille aux pieds bandés, c’est avoir une enfant vertueuse dont dépendent la réputation et le prestige familial. Le but ultime est bien de trouver un mari qui fasse honneur à sa famille.
CASTES SOCIALES
La chaussure est une invitation aux voyages, à un ailleurs : Hermès est le premier dieu à être chaussé. Dans la Rome Antique, être chaussé, c’est être libre parce que les esclaves vont pieds nus et sont des va-nu-pieds. Les prostituées marchent dans les rues et laissent sur le sol un message inscrit sous la semelle des sandales : suivez-moi.
Elles incitent et invitent en toute discrétion le chaland… Sophocle place des talons sous les chaussures de ses acteurs pour qu’ils puissent prendre et gagner en hauteur. L’élite quand à elle, porte des mules de couleur rouge. Le rouge est la couleur du sang qui coule pendant les batailles, sur les pieds et reste comme un signal : Elle est une frontière, une limite à ne pas dépasser, rouge alerte pour ne pas se faire marcher sur les pieds.
QUOTÉE A L’ARGUS,TOUJOURS OPÉRATIONNELLE
Quand à l’achat compulsif et l’accumulation de nouvelles chaussures dans les penderies féminines, trois symboles apparaissent. Le premier marque ce désir profond de rester dans une adolescence éternelle : il touche à la jeunesse et le refus du temps qui passe. A chaque saison, l’achat de chaussures renvoie au pucelage et à sa perte. Inconsciemment, le jeu de remettre son pied dans de nouvelles paires est un retour à une virginité retrouvée mais déjà perdue : un cercle vicieux. Le deuxième point est l’appel à la sexualité. En suivant les saisons et les modes, en renouvelant ses collections d’escarpins, la femme affirme : je suis toujours opérationnelle et je suis présente sur le marché pour capter des conquêtes futures.
Troisième et dernier axe, la chaussure est un objet qui affirme l’acceptation finale de la Féminité. Peu importe pour cet automne-hiver 2019-2020, si vous allez renouveler votre cheptel avec des mocassins à talons ouvragés de Dries Van Noten, Dolce & Gabbana et Fendi, renvoyant à ces messieurs le message: je suis unique, si vous allez craquer pour des escarpins en noir et blanc vus aux défilés Dior, Proenza Schouler et Altuzarra, signe d’un retour à la femme 50 ou si vous opterez pour des plateformes à semelles crantées remarquées chez Carven, Prada et Stella McCartney, cherchant à prévenir vos collaboratrices de ne pas vous marcher sur les pieds.
Peu importe, car votre choix sera le signe que vous n’appartenez qu’à vous-même, que vous vous suffisez et que vous serez responsable de vos actes. Tout simplement parce que vous serez bien dans vos baskets.
PRENDRE SON PIED
Mais le rouge est aussi la couleur du dedans et de la chair. Fascinations, ambiguïtés et paradoxes parce que c’est à la fois l’appel et la répulsion, le désir et la frustration. Christian Louboutin, au-delà de sa signature, de son logo et de son style est reconnaissable de tous les créateurs de chaussures par les semelles peintes en rouge de ses collections. Ce rouge Louboutin évoque des sentiments en contradiction : de l’amour, de la colère, de la sensualité et renvoie à notre sexualité.
Le rouge c’est la guerre, le sang versé, le courage, le danger, l’ardeur et l’interdiction. Et de tout interdit, naît la frustration qui stimule un désir et fait revenir le fantasme. Cette semelle carmin est un phare sensuel qui clignote en code-morse, rythmé par le son des cliquetis d’un talon-aiguille sur le macadam parisien frôlant l’asphalte. Pendant la marche, la semelle apparaît, disparaît. Tic Tac Tic Tac et tactique du jeu de la séduction : le pied habillé d’une parure ornementale est un attrape regard. La chaussure dévoile son dessus et la marche provoque un va-et-vient qui rappelle l’acte sexuel. Personne n’a oublié la scène finale du film de Pedro Almodovar, sorti en 1992, Talons Aiguilles lorsque Rebecca marche dans la rue pavé et que du soupirail, ses talons destinent un souvenir…
LE MYTHE DE LA VIERGE ETERNELLE
Selon Collin de Plancy, se rendre à son premier bal est un passage initiatique de l’adolescence vers l’âge adulte. Cette thématique stéréotypée de la grande soirée de fin de promo est présente dans de nombreux films américains comme Carrie en 1976 de Brian de Palma, dans un autre style Porkys en 1982 de Bob Clark et American Pie en 1999 de Paul et Chris Weitz.
La profonde interrogation obnubilant le héros reste est-ce que je vais être encore puceau l’année prochaine? et si la reine de promo va bien y perdre sa virginité ? Alors quand Cendrillon dévale l’escalier du palais aux douze coups de minuit et qu’elle laisse tomber son escarpin sur les marches voulant respecter son couvre feu imposé, elle a déjà perdu sa virginité. Mais le prince, homme d’honneur et bon gentleman, la retrouve. Selon Freud, l’escarpin est la métaphore du vagin et le pied symbolise le pénis.
“Il fit asseoir Cendrillon, et approchant la pantoufle de son petit pied, il vit qu’il y entrait sans peine, et qu’elle y était juste comme de cire.” – Charles Perrault
La chaussure est vue comme ce petit réceptacle intime, cette partie du corps où l’homme peut se glisser et y être tenu serré. Dans nos sociétés traditionnelles, ôter sa chaussure est un premier pas vers l’intimité. Une coutume Russe consiste qu’à l’église, la mariée essaye de poser le pied la première sur le tapis de satin rose, lieu d’accomplissement du serment afin de dominer son époux. Le soir, elle doit déchausser son mari, une des bottes contient une cravache et l’autre de l’argent. Se déchausser, c’est s’abandonner et former «le couple idéal »…
Auteur © William Arlotti